Le devoir de vigilance qui impose aux entreprises de mettre en place des mesures visant à lutter contre les atteintes portées par leurs activités sur les droits de l’Homme et l’environnement connait plusieurs évolutions législatives au-delà des frontières françaises. Décryptons ces nouveautés.

Quelles évolution pour le devoir de vigilance ?

Près de 11 ans après l’effondrement tragique du Rana Plaza au Bangladesh, la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), voit le jour. Ce texte marque une avancée significative dans le renforcement de la protection des droits humains et de l’environnement à l’échelle européenne, en ciblant l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises.

Le législateur français, pionnier du devoir de vigilance

En 2017, la France a fait figure de précurseur en promulguant la loi sur le devoir de vigilance. Cette législation impose à certaines entreprises, en France et à l’étranger, de prévenir et traiter les atteintes aux droits humains et à l’environnement. Elle permet également aux victimes de négligences d’accéder à la justice et d’obtenir réparation.

La loi française s’applique aux entreprises comptant au moins 5 000 employés en France ou 10 000 dans le monde, soit environ 150 à 200 entreprises. Celles-ci doivent élaborer un plan de vigilance pour prévenir, atténuer et éliminer les impacts potentiels sur les droits humains et l’environnement.

Difficultés d’application et ajustements législatifs

Malgré ses ambitions, la loi française a rencontré des difficultés d’application. Avant sa promulgation, le Conseil constitutionnel avait jugé certaines dispositions instituant une amende inconstitutionnelles tels que « mesures de vigilance raisonnable » et « actions adaptées d’atténuation des risques » du fait du manque de précisions et de clarté des termes employés. La loi a finalement été promulguée le 27 mars 2017.

Plusieurs grandes entreprises, comme Total, EDF et Suez, ont été assignées en justice par des ONG pour manquement à leurs obligations climatiques et sociales. Pourtant, aucune décision n’a été rendue sur le fond, toutes les demandes ayant été jugées irrecevables en première instance. Seul le Groupe La Poste a été condamné sur le fond par une décision du Tribunal de Paris en décembre 2023.

Face à ce flou juridique, la Cour d’appel de Paris a créé une chambre spécialisée dans les enjeux du devoir de vigilance et de responsabilité sociétale et environnementale des entreprises en janvier dernier. Cette chambre vise à clarifier la législation et à développer une jurisprudence cohérente.

Suite à cette création, la nouvelle chambre a jugé le 18 juin dernier à la recevabilité des affaires TotalEnergies, EDF et Suez. Les juges ont ainsi considéré que les associations étaient bien légitimes à porter leurs accusations devant les juges qui devront ainsi se prononcer sur le respect et la conformité des plans de vigilance de ces entreprises. 

L’émergence d’un devoir de vigilance européen

Le 13 juin 2024, l’Union européenne a adopté la directive CS3D, marquant une évolution majeure visant à promouvoir des pratiques commerciales plus durables. Peu d’États membres avaient légiféré sur ce sujet, risquant à terme de conduire à une fragmentation du marché intérieur du fait de législations individuelles peu ou pas efficaces. La directive européenne, visant près de 10 000 entreprises européennes et 4 000 entreprises étrangères, s’appliquera progressivement à partir de 2027.

Ce que prévoit la directive européenne

La CS3D étend son champ d’application par rapport à la loi française et impose des obligations de vigilance similaires, incluant la cartographie des risques, des évaluations régulières, des mesures d’atténuation et des mécanismes de gestion des plaintes. Une nouveauté notable est l’obligation d’élaborer une stratégie de réduction des gaz à effet de serre compatible avec les objectifs climatiques.

Chaque État membre devra désigner une autorité de contrôle avec des pouvoirs d’enquête et de sanction. Les sanctions pourront être pécuniaires et réputationnelles, incluant la possibilité de rendre publiques les infractions ou inactions des entreprises en termes de diligence raisonnable.

Focus sur la chaîne d’activité

La directive européenne définit la « chaîne d’activité » en englobant les partenaires commerciaux en amont et en aval, impliqués dans la production, l’approvisionnement, la fabrication, le transport, et l’entreposage.

Bien que cette définition semble étendue, elle exclut certaines activités. En particulier, les activités financières réglementées ne tiennent pas compte des partenaires commerciaux en aval. Cette restriction contraste avec d’autres législations, comme la CSRD, qui adoptent une définition plus large en intégrant également les impacts sur la clientèle de l’entreprise.

Harmonisation de l’arsenal législatif européen en matière de durabilité

La CS3D n’est finalement qu’une pièce du puzzle dans la quête de l’Union européenne pour un marché plus durable et responsable. Depuis sa promulgation en janvier 2024, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) vise à introduire des changements significatifs dans les pratiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Alors que la CS3D se concentre sur la gestion des risques liés aux droits humains et à l’environnement, la CSRD met l’accent sur la transparence et la communication des informations en matière de durabilité. Elle exige des entreprises la production de rapports détaillés et réguliers sur leurs performances en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG), contribuant ainsi à une vision plus complète et harmonisée des pratiques durables en Europe.

Une réglementation en attente de mise en pratique

La directive européenne met à plusieurs reprises l’accent sur l’adoption de divers actes délégués en 2027 visant à établir des critères d’application des obligations de déclaration ou encore donner des orientations sur les clauses contractuelles types que les entreprises pourront intégrer à leurs relations commerciales avec leurs partenaires en termes de diligence raisonnable.

 Conclusion

Les obligations portant sur le devoir de vigilance tendent à se préciser et se renforcer et on le voit très clairement dans son évolution. Il s’inscrit comme étant un levier d’influence pour les entreprises et une opportunité pour ses dernières d’embarquer leurs partenaires commerciaux qui n’y seraient pas forcément soumis vers un marché européen et une économie plus durable.